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16 mai 2022
Lettre ouverte: La trame sonore de nos vies est en jeu

Les travaux parlementaires se déroulant actuellement à Ottawa pour moderniser la Loi sur la radiodiffusion peuvent sembler loin de nos préoccupations quotidiennes. Nous aurions pourtant tort de ne pas y accorder toute l’attention nécessaire, parce que la trame sonore de nos vies y est actuellement en jeu. Pour les musiques d’ici, le projet de loi C-11 pourrait tout changer… pour le meilleur ou pour le pire.

La musique est partout autour de nous : dans nos foyers, dans les lieux publics, dans nos écouteurs, dans nos voitures, dans nos souvenirs. Parfois, nous la choisissons ; souvent, elle arrive à nous. Au Québec, en partie grâce à un écosystème réglementaire qui assure depuis des décennies sa mise en valeur dans les médias traditionnels, cette musique qui nous entoure et rythme notre quotidien est, de façon majoritaire, le fait d’artistes d’ici. Si bien qu’au moment de débourser, la moitié de nos achats de musique vont à des albums, physiques comme numériques, québécois. Un résultat exceptionnel, qui nous a permis de bâtir une industrie de la musique viable pour un grand nombre d’artistes et d’entreprises indépendantes locales.

Mais depuis quelques années, ce cercle vertueux rouille sous nos yeux. Alors que notre consommation musicale s’est transformée, le cadre réglementaire qui l’entoure est resté figé, permettant aux entreprises numériques, presque toutes étrangères, de s’y soustraire.

Ainsi, contrairement aux radios commerciales, publiques ou satellites, Spotify, Apple Music, Amazon Music, YouTube ou TikTok n’ont pas à soutenir le financement de notre musique ni à stimuler sa découverte. Les conséquences sont réelles et alarmantes : au Québec, à peine 8 % de la musique écoutée sur les services d’écoute audio en continu est locale, selon des données fournies par Luminate et analysées par l’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ).

La modernisation de la Loi sur la radiodiffusion en est à sa seconde tentative. À Ottawa, des parlementaires étudient le nouveau texte proposé. Pour que cette réforme produise les effets escomptés, il leur faudra résister à toute pression visant à alléger les dispositions prévues.

Nous devons compter sur un texte législatif fort, sans quoi notre musique sera condamnée à la marginalisation dans un univers dominé par les grands tubes américains. Nous appelons les parlementaires de toute allégeance à travailler à l’adoption du projet de loi C-11, qui vient tout juste de passer à l’étape de la deuxième lecture : des milliers d’artistes, artisans, entreprises et organismes canadiens comptent sur vous.

LE COURAGE NÉCESSAIRE

Réguler des entreprises étrangères puissantes, connues pour leur défiance à l’égard de toute législation et les moyens imposants qu’elles consacrent au lobbying, demande du courage. Chacun des pays ayant osé se lancer dans l’aventure, pensons à l’Australie ou à l’Union européenne, s’est frotté aux techniques éprouvées des plateformes : les législateurs sont rapidement pointés comme « ne comprenant pas la technologie », et des menaces voulant que la loi ait pour effet de réduire la liberté d’expression des citoyens sont brandies.

Ces messages, non fondés, mais inquiétants pour le grand public, sont généralement repris par des groupes d’intérêt s’opposant à la régulation du web et par des personnalités dont la notoriété dépend de ces plateformes, donnant ainsi l’illusion d’être soutenus par la société civile.

Au Canada, au printemps dernier, c’est précisément ce qui s’est produit, jusqu’à la mort au feuilleton de la première mouture du projet de loi.

Pourtant, en réalité, l’appui de la société civile est sans équivoque : selon un sondage mené pour l’ADISQ, par Léger, auprès de 4003 répondants, du 14 au 27 mars 2022, 89 % de la population du Québec pense qu’il est important que l’État protège la culture québécoise.

Le cadre législatif canadien entourant la radiodiffusion est l’instrument clé par lequel le Canada affirme sa souveraineté culturelle. En le modernisant, nous mettrons fin à une injustifiable iniquité et lui redonnerons pleinement son sens. Pour les citoyens, les bénéfices seront importants. Le contrôle de notre paysage culturel ne sera plus laissé entre les seules mains d’entreprises étrangères motivées uniquement par la recherche de profits. Et aux côtés des grands succès étrangers, nous pourrons continuer de découvrir des musiques de qualité, aux accents familiers. Parce que protéger une culture nationale, c’est garantir un espace aux langues minoritaires, favoriser une véritable diversité et soutenir une démocratie en santé.

* Cosignataires : Eve Paré, Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ), Annie Morin, ARTISTI ; Jérôme Payette, Association des professionnels de l’édition musicale (APEM) ; Luc Fortin, Guilde des musiciens et des musiciennes du Québec (GMMQ) ; David Bussières, Regroupement des artisans de la musique (RAM) ; Andrea Kokonis, Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN) ; Thomas Jolicœur, Société de gestion collective des droits des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes du Québec (SOPROQ) ; Alexandre Alonso, Société professionnelle des auteurs et compositeurs du Québec (SPACQ) et Sophie Prégent, Union des Artistes (UDA)

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